Par un communiqué en date du 23 avril 2020, le ministère de l’agriculture a indiqué que les propriétaires de chevaux étaient autorisés à se déplacer dans les prés ou les centres équestres pour aller nourrir, soigner ou assurer l’activité physique indispensable de leurs animaux, si les centres ne peuvent assurer eux-mêmes la totalité des soins, ce qui constitue un motif familial impérieux.

Ce communiqué a suscité de vives interrogations sur le droit des propriétaires de se rendre dès à présent dans les centres équestres auprès de leurs chevaux et force est de constater que malgré un communiqué en date du 26 avril, la Fédération Française d’Equitation ne s’illustre pas dans ses analyses réglementaires.

En l’état du droit, le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire instauré par la loi n°2020-290 du 23 mars 2020, et modifié par le décret n°2020-477 du 25 avril 2020, a fixé un certain nombre de mesures exceptionnelles restrictives de libertés dans l’intérêt général, pour lutter contre la propagation de l’épidémie.

C’est ainsi que le gouvernement a décidé la fermeture d’un certain nombre d’établissements recevant du public et ce, désormais jusqu’au 11 mai minimum.

Les centres équestres étant assimilés à des établissements recevant du public mais n’étant pas expressément cités par le décret, il faut chercher dans les termes de l’article 8 du décret du 23 mars précité, quelles dispositions peuvent s’appliquer à ces centres.

Les dispositions de l’article 8-I-X qui visent les établissements sportifs couverts ou encore celles de l’article 8-I-PA qui visent les établissements de plein air, ne répondent pas aux caractéristiques et activités des centres équestres.

Il faut en réalité aller chercher dans les dispositions de l’article 8-V du décret qui stipulent que « les établissements mentionnés aux articles L 322-1 et L 322-2 du code du sport sont fermés », le fondement réglementaire de la fermeture des centres équestres.

En effet, l’article L 322-2 du code du sport vise expressément « les établissements où sont pratiqués une ou des activités physiques ou sportives », lesquels « doivent présenter pour chaque type d’activité et d’établissement des garanties d’hygiène et de sécurité définies par voie réglementaire.. ».

Les écuries des centres équestres entrent au nombre de ces établissements puisque la pratique du cheval est une activité physique et sportive et ces établissements reçoivent pour la pratique de ces activités, du public.

Cette interdiction a aujourd’hui une valeur réglementaire et le décret du 23 mars 2020 n’a pas été remis en cause devant le Conseil d’État.

Certaines voix s’élèvent pour soutenir que cette interdiction serait illégale, en ce qu’en ordonnant la « fermeture » de ces établissements, ce texte mettrait en danger la santé des chevaux et leur bien-être, car une interprétation stricte du terme « fermeture » aboutirait à ce que ces établissements ne puissent plus accueillir ni les gérants, ni les salariés, ni les soignants, ni les livreurs de nourriture, et encore moins les propriétaires.

Une telle interprétation nous semble erronée car il est bien évident que dans l’esprit du pouvoir réglementaire, la « fermeture » de ces centres est une fermeture « au public » (ce qui correspond à l’esprit de l’article 8 qui a pour objet de fermer un certain nombre d’établissements au public), c’est à dire aux usagers desdits établissements, comme c’est le cas de tous les établissements recevant du public.

Cette fermeture ne signifie donc nullement que lesdits établissements ne peuvent plus s’occuper des chevaux et d’ailleurs chaque structure a continué de soigner, de nourrir et de sortir les animaux placés sous leur responsabilité, sans pour autant accueillir les propriétaires.

Il est donc fort à craindre que si un recours était introduit sur ce fondement, pour violation de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 en ce que l’article 8-V du décret applicable aux centres équestres porterait une atteinte qui n’est pas proportionnée aux risques sanitaires et inappropriée en ce qu’elle met en danger la survie des chevaux, le Conseil d’Etat rejette rapidement l’argument, en jugeant que tel n’est pas la finalité du texte, ni la volonté du pouvoir réglementaire et, d’ailleurs, toute la filière a bien compris ce que signifiait « la fermeture » imposée par le décret de cette manière, puisque personne n’a mis la clé sous la porte en abandonnant les chevaux à leur triste sort et la Fédération Française d’Equitation a également et justement rappelé, que la fermeture interdisait aux usagers et aux propriétaires des chevaux de se rendre dans les centres équestres.

En outre, la pratique montre que depuis plusieurs semaines, si les forces de l’ordre procèdent à des contrôles fréquents pour bien s’assurer du respect de la réglementation, c’est-à-dire de la fermeture des centres équestres, ces derniers continuent à soigner, nourrir et sortir les chevaux placés sous leur responsabilité et à assurer leur bien-être autant que de possible.

La question juridique qui porte sur le droit des propriétaires à visiter leurs chevaux confiés à ces établissements demeure donc inchangée , nonobstant le communiqué du ministère de l’Agriculture du 23 avril, lequel ne va d’ailleurs pas à l’encontre du décret du 23 mars 2020 car il est conforme, tant à la lettre qu’à l’esprit dudit décret.

En effet et en premier lieu, l’interdiction réglementaire d’aller voir son cheval demeure pleinement jusqu’au 11 mai 2020 ; les propriétaires n’ont pas le droit d’aller voir et de monter leurs chevaux jusqu’à cette date au minimum et les centres équestres n’ont donc aucune obligation de les accueillir, sans commettre d’infraction en violation des dispositions du décret du 23 mars 2020.

Le communiqué de presse du ministre de l’agriculture n’a aucune valeur réglementaire et ne constitue qu’une simple tolérance, qui ne saurait l’emporter sur un texte à valeur réglementaire.

Il n’est d’ailleurs pas contraire au décret puisque le communiqué précise très clairement que les « déplacements » qu’il vise ne sont envisageables que si « les centres ne peuvent assurer eux-mêmes la totalité des soins », ce qui signifie très clairement que si les centres équestres remplissent leurs obligations de nourriture, de soin et d’activité physique indispensable au bien être des chevaux, ce que la quasi-totalité des établissements continuent de faire dans des conditions certes difficiles, le communiqué n’ouvre la voie à aucune dérogation à l’interdiction fixée par le décret du 23 mars 2020.

En second lieu et sans contredire nullement le décret, le ministère de l’agriculture dans son rôle, est venu préciser que ce n’est qu’en cas de carence du centre équestre à assurer la totalité des soins, que les propriétaires sont autorisés à se déplacer pour y subvenir et pallier à cette carence.

Et dans ce contexte, comme le bien-être animal est protégé par les dispositions de l’article L 214-3 du code rural et de la pêche maritime et par l’article 4 paragraphe 4 du règlement communautaire CE n°1099/2009 du Conseil Européen qui impose aux Etats membres de tenir pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles, le ministre est venu préciser que ce motif de déplacement pouvait s’inscrire dans le cadre d’un déplacement « pour motif familial impérieux ».

Et ce faisant le ministre ne s’est nullement inscrit dans les dispositions de l’article 8 du décret du 23 mars, modifié le 25 avril 2020, mais dans le cadre des dispositions de l’article 3 du décret qui fixent en période de confinement de la population, les déplacements autorisés, dont notamment ceux du 4° concernant « les déplacements pour motif familial impérieux, pour l’assistance des personnes vulnérables et pour la garde d’enfants ».

Il n’a échappé à personne que le gouvernement n’a pas limitativement fixé une liste de ces déplacements pour « motif familial impérieux ».

Depuis le communiqué du gouvernement du 23 avril 2020, il est reconnu expressément par le gouvernement que constitue un « motif familial impérieux »  pour les propriétaires de chevaux les autorisant à se déplacer au sens des dispositions de l’article 3 du décret du 23 mars modifié, le trajet qu’ils sont contraints d’effectuer pour nourrir leur chevaux dans les prés ou dans les centres équestres qui seraient défaillants dans la totalité de la dispense des soins nécessaires au  bien être des chevaux.

L’état du droit est donc clair, l’interdiction absolue demeure et elle a une valeur réglementaire et ce n’est qu’en cas de défaillance de la structure équestre qui garde les chevaux des propriétaires ou si les chevaux sont « hors structure »  que les propriétaires peuvent évoquer un « motif légitime de déplacement » qu’il sera d’ailleurs très difficile, voire impossible aux forces de l’ordre d’apprécier…

En troisième lieu, il résultent des développement ci-dessus que les centres équestres qui considèrent qu’ils remplissent toutes leurs obligations pour assurer le bien-être des chevaux placés sous leur garde, peuvent refuser l’entrée aux propriétaires au moins jusqu’au 11 mai prochain.

Ils le peuvent d’une part, en application du décret du 23 mars 2020 précité qui n’a pas changé et ce jusqu’au 11 mai minimum, et d’autre part, parce qu’ils sont seuls responsables de ce qui se passe au sein de leur établissement vis-à-vis notamment de leur personnel et de la mise en place des gestes barrières qu’ils vont être contraints de mettre en place, en cas de déconfinement pour assurer non seulement la protection de leurs personnels mais également la protection des usagers et des propriétaires, lorsque ces derniers seront de nouveau autorisées à se rendre auprès de leurs chevaux.

Car sur ce terrain également le droit s’avère particulièrement contraignant et inédit face à cette épidémie.

Aucune écurie n’a encore fonctionné en pleine pandémie et cela va faire peser des contraintes très fortes sur les gérants, leurs salariés et les propriétaires.

Les juridictions administratives et judiciaires s’accordent en effet pour faire peser les plus lourdes contraintes sur l’employeur qui décide d’ouvrir son établissement ou toute unité de travail face aux risques de Covd-19 qui entrainent un danger de mort.

 Le Conseil d’Etat considère que le droit au respect de la vie constitue une liberté fondamentale, et qu’il appartient aux autorités de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des personnels eu égard aux missions qui leur sont assignées.

Lorsque la carence d’une autorité dans l’usage des pouvoirs qu’elle détient pour satisfaire cette obligation crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes placées sous son autorité, elle porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie (CE, ordonnance du 8 avril 2020, Syndicat national pénitentiaire force ouvrière personnels de surveillance, req. n° 439821).

 Les contraintes sont les mêmes pour les employeurs privés que ne peuvent prendre la décision de rouvrir leurs établissements, à supposer qu’ils y soient autorisés le 11 mai, sans préalablement avoir pris les mesures maximales de protection de leurs personnels face au Covid-19.

Le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a clairement statué dans ce sens dans une ordonnance du 9 avril 2020, rappelant que les obligations impérieuses de l’employeur d’appréhension, de prévention des risques professionnels liés au Covid-19 devaient porter sur l’ensemble des unités de travail qu’il estime devoir mettre ou maintenir en place au titre de la continuité de ses missions et des divers besoins jugés essentiels pour la Nation (Tribunal Judicaire de Paris, 9 avril 2020, Fédération SUD des activités postales et des télécommunications, RG n°20/52223).

Dans l’affaire AMAZON France, la Cour d’appel de Versailles est venue apporter des précisions importantes sur ce qu’elle considère comme étant en la matière, les obligations de tout employeur et ces dispositions s’appliqueront  donc aux centres équestres qui emploient des salariés et qui reçoivent du public, lorsqu’ils décideront de rouvrir leurs portes (CA Paris, 14ème chambre, 24 avril 2020, Amazon France Logistique SAS, RG n° 20/01993).

De manière classique, la cour rappelle que l’employeur est tenu d’évaluer face à la pandémie du Covid-19, les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, compte-tenu de la nature des activités de l’entreprise, de retranscrire les résultats dans un document unique et de mettre en œuvre les mesures de prévention adéquates.

Certes, il n’existe pas de « méthode particulière » imposée par le code du travail pour procéder à l’évaluation des risques professionnels, ce qui veut dire que l’employeur et que chaque centre équestre sera libre de choisir sa méthode d’évaluation.

Cependant et c’est là que l’apport jurisprudentiel est important face à cette crise sanitaire inédite :

  • La méthode d’évaluation doit permettre d’appréhender la réalité des conditions d’exposition des salariés au danger et des « clients »
  • Il doit s’agir d’un véritable travail d’analyse
  • L’action d’évaluation doit être menée en concertation avec le personnel dans le cadre du dialogue social
  • L’évaluation doit prendre en compte :

1- les situations concrètes de travail

2- le droit d’expression des salariés sur leurs conditions de travail

3- l’expérience des salariés sur leurs propres situations de travail

4- reposer sur une approche pluridisciplinaire mêlant compétences médicales, techniques et organisationnelles.

En tout état de cause, la contagiosité spécifique du covid-19 entraîne nécessairement une modification importante de l’organisation du travail, ce qui laisse sous-entendre que pendant cette période de grave pandémie et d’état d’urgence sanitaire, le retour à une organisation « normale » du travail ne semble pas envisageable, ce qui justifie que certains centres équestres pourront réduire également la présence des usagers et des propriétaires s’ils estiment qu’ils ne peuvent garantir la sécurité de leurs personnels ou les gestes barrière qu’ils auront mis en œuvre pour éviter au maximum les risques de contamination (gel hydroalcoolique, points de lavage des mains, règles de distanciation physique, port du masque obligatoire, roulement de propriétaires etc…).

Le juge vérifie en effet:

– quelles ont été les mesures prises par l’employeur pour protéger les salariés qui pourraient avoir été en contact avec la maladie et quels outils ont été mis en place pour assurer le suivi en cas d’infection avérée où suspectée ;

– si l’employeur a pris des mesures suffisantes pour préserver la santé des salariés et des usagers à l’entrée des sites, dans les vestiaires, dans les sites, lors des contacts avec toute personne extérieure, lors de la manipulation des colis, des matériels etc…;

– que l’employeur a mis en place les mesures suffisantes pour respecter les gestes de distanciation sociale;

– que l’employeur a respecté ses obligations de formation de ses salariés, du personnel intérimaire et des personnels extérieurs à l’entreprise pour lutter contre tout risque de contagion.

Les centres équestres vont devoir évaluer les risques avec leurs personnels selon la nature des différentes activités du centre et des interventions physiques et arrêter des gestes barrière pour assurer une reprise progressive de l’activité la plus sécurisée possible et toutes les mesures qui seront prises, devront être répertoriées dans un document unique d’évaluation des risques, lequel devra faire l’objet d’un affichage et être porté à la connaissance de tous, y compris des propriétaires.

Il est d’ailleurs surprenant que les pouvoirs publics et la Fédération Française d’Equitation n’aident pas davantage les centres équestres qui souhaitent rouvrir s’ils le peuvent le 11 mai, dans cette démarche extrêmement délicate et inédite, car instaurer des gestes barrières de prévention d’un virus extrêmement contagieux dans une écurie et avec des animaux vivants demande certainement une évaluation des risques et des mesures de prévention et de protection des salariés des écuries et des propriétaires certainement plus complexes que dans le cadre de la réouverture d’un commerce couvert…

Décidément les centres équestres semblent bien seuls et mal accompagnés dans cette tourmente sanitaire et économique majeure.

Marc Bellanger

HMS AVOCATS