A l’instar du Juge pénal en matière d’infractions, le Juge administratif n’ignore pas l’intentionnalité dans la commission de la faute. Ce principe trouve une application tout à fait topique lors de la répression des manquements disciplinaires commis par les agents publics.

De longue date, le Conseil d’Etat s’assure ainsi de ce que l’état de santé mental du fonctionnaire poursuivi n’est pas de nature « à faire obstacle à ce que l’intéressé fut regardé comme responsable de ses actes ni à ce que, par suite, une sanction disciplinaire put être légalement prise contre lui ; » (v. CE, 30 mars 1977, Bazerque, n° 01124, Lebon T. p. 878).

Autrement posé, le Juge s’assure de ce que l’agent public poursuivi ne justifie pas d’une abolition de son discernement lors de la commission des faits lui étant reprochés – cette abolition étant bien entendu exonératoire de toute responsabilité disciplinaire.

Il est toutefois des hypothèses où, sans être aboli, le discernement de l’auteur des faits peut être simplement altéré en raison de circonstances particulières.

Dans une telle occurrence, l’agent public poursuivi ne pourra escompter échapper à toute sanction, mais pourra légitimement attendre que son état de santé mental dégradé soit pris en compte dans la fixation du degré de sévérité de la mesure disciplinaire prononcée à son encontre.

L’abolition totale et l’altération simple du discernement ne sont donc pas prises en compte de la même manière par le Juge. Toutefois, ces excuse ou atténuation de la responsabilité disciplinaire de l’agent public sont souvent mises en œuvre à l’issue d’un raisonnement semblable (1-2).

 

1. L’abolition du discernement : une exonération de responsabilité disciplinaire

En premier lieu, la Jurisprudence confère une valeur exonératoire de responsabilité à l’état pathologique ayant privé l’agent public fautif de tout discernement (v. CE, 2 juillet 1980, Centre hospitalier de Saint-Quentin c/ Pruvot, n° 14018 ; v. égal. CE, 24 février 1982, Bartoli, n° 25935).

Bien entendu, cet état pathologique ne s’oppose pas à ce qu’une autre réponse, de nature administrative, soit trouvée au comportement de l’intéressé, à l’instar d’un placement d’office en congé de maladie (v. par ex. CE, 27 avril 1994, Centre hospitalier régional de Bordeaux c/ Mlle Nancy, n° 94460).

Seule est ainsi prohibée la réponse exclusivement disciplinaire.

Observons néanmoins que l’admission de cette exonération est soumise par la Jurisprudence à deux éléments au moins.

  • Le premier est, évidemment, la démonstration de l’existence même de l’état pathologique ayant aboli le discernement de l’agent public poursuivi.

La question posée relève, bien entendu, d’une appréciation davantage médicale que juridique

Pour la trancher, le Juge pourra faire appel aux conclusions d’une expertise médicale, éventuellement ordonnée en Justice (v. CE, 2 juillet 1980, Centre hospitalier de Saint-Quentin c/ Pruvot, préc.).

La conviction du Juge pourra également être emportée par l’avis d’une instance médicale amenée à se prononcer sur l’aptitude de l’agent public à ses fonctions et son éligibilité à un congé de longue durée (v. CE, 30 mars 1977, Bazerque, préc.).

Toujours est-il que les justifications avancées au soutien de l’affirmation d’un état de santé exonératoire de responsabilité doivent être solides.

Ainsi, les seules difficultés psychologiques et l’addiction à l’alcool qu’un agent soutient présenter, ne sont nullement exonératoires au titre de la responsabilité disciplinaire (v. CAA Nancy, 23 septembre 2010, n° 09NC01192).

Il en va de même de la fragilité psychologique pour laquelle un autre agent affirme être suivi de longue date, dès lors que de telles difficultés n’ont pas eu pour effet de le priver de tout discernement lors de la commission des faits en litige (v. CAA Paris, 17 avril 2007, n° 05PA04552 ; v. égal. CAA Marseille, 17 juillet 2012, n° 10MA03574).

  • Le deuxième élément permettant de faire jouer l’exonération de responsabilité disciplinaire à raison de l’état de santé est d’ordre chronologique.

Il appartient effectivement à l’agent public poursuivi d’établir une coïncidence de temps entre l’abolition de son discernement d’une part, et la commission des faits poursuivis d’autre part.

A défaut, le mécanisme d’exonération de responsabilité ne jouera pas.

Il en va notamment ainsi lorsqu’un fonctionnaire se prévaut de rapports médicaux constatant qu’il souffre de troubles bipolaires, mais que ces rapports ont été établis plus de deux ans après la date des faits poursuivis, qui plus est durant une période où l’agent ne bénéficiait d’aucun suivi médical (v. CAA Paris, 3 février 2021, n° 19PA01593, § 4).

Au total, l’irresponsabilité disciplinaire n’est pas une démonstration aisée à parfaire, et ne préserve pas l’agent public de toute suite administrative à son comportement : placement d’office en congé de maladie (congé ordinaire, congé de longue maladie ou de longue durée), changement d’affectation…

 

2. L’altération du discernement : une atténuation de la responsabilité disciplinaire

En second lieu, l’état de santé de l’agent public peut également être pris en compte par le Juge pour apprécier l’adéquation entre la sanction prononcée à son encontre et la faute réprimée, lorsque le discernement n’est pas aboli mais simplement altéré (v. par ex. CE, 12 mars 2010, n° 316969).

Rappelons qu’il s’agit là du « troisième temps » du contrôle exercé par le Juge administratif en matière de légalité des sanctions disciplinaires (v. CE Ass., 13 novembre 2013, M. Dahan c/ Ministre des affaires étrangères, n° 347704, RFDA 2013, p. 1175, concl. R. Keller).

Dans une telle hypothèse, et sans écarter la responsabilité de l’agent public poursuivi, le Juge s’assurera simplement de ce que l’altération éventuelle de son discernement lors de la commission des faits, a bien été prise en compte par l’autorité investie du pouvoir disciplinaire.

Cela pourra ainsi le conduire à regarder comme trop sévère la révocation prononcée à l’encontre d’un fonctionnaire à raison de la méconnaissance de ses obligations de réserve, de discrétion professionnelle et de dignité, alors que l’intéressé souffrait, lors de la commission des faits sanctionnés, de troubles psychopathologiques sévères et de gravité confirmée, entraînant une altération importante du fonctionnement social et professionnel et ne permettant pas une reprise immédiate des fonctions (v. CE, 15 octobre 2020, n° 438488, AJDA 2021, p. 312, AJFP 2021, p. 108).

Inversement, le Conseil d’Etat a jugé le 17 février 2023 que la révocation prononcée à l’encontre d’un autre fonctionnaire à raison des « propos extrêmement déplacés, agressifs et dégradants, dont plusieurs ayant un caractère sexuel et comportant des menaces physiques » qu’il avait tenu à l’une de ses collègues, à une supérieure hiérarchique ainsi qu’à une élue de la Région Occitanie – son employeur – n’était nullement disproportionnée, le certificat médical produit aux débats ne suffisant pas à démontrer une altération de son discernement (v. CE, 17 février 2023, Région Occitanie, n° 450852).

De même, le Tribunal administratif de Nancy a récemment jugé que la révocation prononcée à l’encontre d’un fonctionnaire à raison, notamment, de vols répétés dans les affaires de ses collègues, était proportionnée à la gravité de la faute, l’altération du discernement de l’intéressé à raison de troubles psychiatriques n’étant pas établie par la production d’éléments médicaux tous postérieurs à la (longue) période de commission des faits (v. TA Nancy, 2 mars 2023, n° 2201667).

Ainsi, et au même titre qu’en matière d’abolition du discernement de l’agent public, le Juge recherche si l’existence même d’un état pathologique est bien établi par les pièces du dossier et si celui-ci est contemporain aux agissements poursuivis.

La principale différence avec l’hypothèse d’une abolition du discernement tient à la question de la « pondération » appliquée aux faits concernés par l’altération du discernement, et aux conséquences en résultant sur la légalité de la mesure disciplinaire.

Autrement posé, et alors que l’abolition du discernement d’un agent public fait mécaniquement obstacle à ce qu’une sanction lui soit appliquée, la simple altération du discernement n’a pas un tel effet, et n’implique pas nécessairement que la sanction prononcée soit regardée comme disproportionnée.

A titre d’exemple, si l’employeur public a pris en compte cette altération du discernement dans le choix de la mesure disciplinaire prononcée contre l’agent, il peut se prémunir contre une censure juridictionnelle.

De manière prosaïque, l’on peut penser que les deux hypothèses où l’altération du discernement de l’agent public aura un véritable poids sur la décision juridictionnelle seront :

  • d’une part, le cas où, quelle que soit la nature de la mesure disciplinaire adoptée, l’altération du discernement n’a pas du tout été prise en compte par l’employeur public ;
  • d’autre part, le cas où, bien qu’il ait pris en compte cette altération du discernement, l’employeur public a prononcé une mesure disciplinaire particulièrement sévère (exclusion temporaire de fonctions du 3ème groupe des sanctions disciplinaires, ou mesures du 4ème groupe des sanctions disciplinaires (Voir l’article L. 533-1 du code général de la fonction publique).

 

Article rédigé par Maîtres Barbara SAFAR et Hugo TASTARD – 31 octobre 2023

HUGO TASTARD, Avocat au barreau de Paris, et Barbara SAFAR, Avocat au barreau de Bordeaux