A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles.

En application de la très récente loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 (JORF du 24 mars 2020), pas moins de vingt-cinq ordonnances ont été prises par l’exécutif le 25 mars 2020 et ont été publiées au JORF du 26 mars 2020. Ces ordonnances assouplissent, dans de larges secteurs de la vie économique et sociale, les cadres juridiques applicables pour les adapter aux enjeux sanitaires actuels et aux contraintes du confinement.

Parmi ces ordonnances, quatre concernent le fonctionnement du service public de la justice.

  1. L’ordonnance n°2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale.

Cette ordonnance a pour objet de suspendre les délais de prescription de l’action publique et d’exécution des peines à compter du 12 mars 2020, d’atténuer les conditions de saisine des juridictions et d’alléger leur fonctionnement, en autorisant plus largement des audiences dématérialisées et en élargissant les formations à juge unique.

Elle assouplit les règles de procédure pénale applicables aux personnes gardées à vue détenues à titre provisoire ou assignées à résidence et permet à un avocat, avec son accord ou à sa demande, d’assister à distance une personne gardée à vue grâce à un moyen de télécommunication.

Elle prolonge les délais maximums de placement en détention provisoire et d’assignation à résidence durant l’instruction et pour l’audiencement, et allonge les délais de traitement des demandes de mise en liberté des personnes détenues à titre provisoire.

  1. L’ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété.

Ses dispositions sont applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

Cette ordonnance vise à alléger le fonctionnement des juridictions civiles, sociales et commerciales, en assouplissant les modalités d’organisation des audiences et en permettant l’information des parties et l’organisation du contradictoire par tout moyen :

  • en cas d’incapacité totale ou partielle d’une juridiction du premier degré de fonctionner, le premier président de la cour d’appel peut désigner par ordonnance, après avis du procureur général près cette cour, des chefs de juridiction et des directeurs de greffe des juridictions concernées, une autre juridiction de même nature et du ressort de la même cour pour connaître de tout ou partie de l’activité relevant de la compétence de la juridiction empêchée ;
  • en cas de suppression d’une audience ou d’une audition, le greffe avise les parties, si elles sont assistées ou représentées par un avocat, du renvoi de l’affaire ou de l’audition par tout moyen, notamment électronique ;
  • si l’audience de plaidoirie, la clôture de l’instruction ou la décision de statuer selon la procédure sans audience a lieu pendant la période d’application de l’ordonnance, la juridiction peut, sur décision de son président, statuer à juge unique en première instance et en appel dans toutes les affaires qui lui sont soumises ;
  • les parties sont autorisées à échanger leurs écritures et leurs pièces par tout moyen à condition que le juge puisse s’assurer du respect du contradictoire ;
  • le président de la juridiction peut décider, avant l’ouverture d’une audience, que les débats se dérouleront en publicité restreinte.
  • lorsque la représentation est obligatoire ou que les parties sont assistées ou représentées par un avocat, le juge ou le président de la formation de jugement peut décider que la procédure se déroulera selon la procédure sans audience. Les parties, qui en sont informées par tout moyen, disposent toutefois d’un délai de quinze jours pour s’opposer à la procédure sans audience, sauf s’il s’agit d’une procédure en référé, accélérée au fond et dans laquelle le juge doit statuer dans un délai déterminé. A défaut d’opposition, la procédure est alors exclusivement écrite et la communication entre les parties est faite par notification entre avocats ;
  • en cas d’assignation en référé, la juridiction statuant en référé peut rejeter la demande avant l’audience, par ordonnance non contradictoire, si la demande est irrecevable ou s’il n’y a pas lieu à référé.

Enfin, pour faciliter le fonctionnement des copropriétés, l’ordonnance prévoit le renouvellement de contrats de syndic de copropriété qui expirent ou ont expiré depuis le 12 mars 2020.

  1. L’ordonnance n°2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif.

Les dispositions de l’ordonnance s’appliquent durant la période comprise entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire et sont dérogatoires aux dispositions législatives et réglementaires applicables aux juridictions administratives.

Cette ordonnance permet :

  • le renforcement des formations collégiales incomplètes pour délibérer par des magistrats d’autres juridictions ou des magistrats honoraires, qui sont désignés par le président de la juridiction ainsi complétée sur proposition du président de la juridiction d’origine ;
  • la désignation des magistrats ayant le grade de conseiller et une ancienneté minimale de deux ans pour statuer par ordonnance dans les conditions prévues à l’article R. 222-1 du code de justice administrative ;
  • la communication des pièces, actes et avis aux parties par tout moyen ;
  • au président de la formation de jugement, de décider que l’audience aura lieu hors la présence du public ou que le nombre de personnes admises à l’audience sera limité ;
  • l’organisation des audiences en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle à condition de pouvoir s’assurer de l’identité des parties et de garantir la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats. En cas d’impossibilité technique ou matérielle de recourir à un tel moyen, le juge peut, par décision insusceptible de recours, décider d’entendre les parties et leurs avocats par tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique, si ce moyen présente les mêmes garanties ;
  • au président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, d’exposer à l’audience des conclusions sur une requête ;
  • de statuer sans audience, par ordonnance motivée, sur les requêtes présentées en référé. Dans ce cas, le juge des référés doit en informer les parties et fixer la date à partir de laquelle l’instruction sera close. L’audience publique peut également être supprimée pour l’examen des demandes de sursis à exécution en appel ;
  • la signature de la minute du jugement, de l’arrêt ou de l’ordonnance uniquement par le président de la formation de jugement.

Tout en renvoyant à l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période – laquelle est applicable aux procédures devant les juridictions administratives –, l’ordonnance n°2020-305 institue des dispositions particulières relatives aux délais de procédures et de jugement. Ainsi :

  • les réclamations et les recours mentionnées à l’article R. 119 du code électoral peuvent être formées contre les opérations électorales du premier tour des élections municipales organisé le 15 mars 2020 au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit la date de prise de fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dès ce tour, fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020 dans les conditions définies au premier alinéa du III de l’article 19 de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 ou, par dérogation, aux dates prévues au deuxième ou troisième alinéa du même III du même article ;
  • les mesures de clôture d’instruction dont le terme vient à échéance au cours de la période de l’état d’urgence sanitaire sont prorogées de plein droit jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la fin de cette période, à moins que ce terme ne soit reporté par le juge ;
  • durant la période de l’état d’urgence sanitaire, le point de départ des délais impartis au juge pour statuer est en principe reporté au premier jour du deuxième mois suivant la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.
  1. L’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.

L’ordonnance n°2020-306 permet que les démarches, quelle que soit leur forme (acte, formalité, inscription, etc.), dont l’absence d’accomplissement peut produire des effets juridiques tels qu’une sanction, une prescription ou la déchéance d’un droit, et qui n’ont pu être réalisées pendant la période d’état d’urgence augmentée d’un mois, puissent l’être à l’issue de cette période dans le délai normalement prévu et au plus tard dans un délai de deux mois suivant la fin de cette période d’état d’urgence.

Plus précisément, ses dispositions s’appliquent aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et la fin du délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, à l’exception :

  • des délais et mesures résultant de l’application de règles de droit pénal et de procédure pénale, ou concernant les élections régies par le code électoral et les consultations auxquelles ce code est rendu applicable ;
  • des délais concernant l’édiction et la mise en œuvre de mesures privatives de liberté ;
  • des délais concernant les procédures d’inscription dans un établissement d’enseignement ou aux voies d’accès à la fonction publique ;
  • ou des délais et mesures ayant fait l’objet d’autres adaptations particulières par la loi du 23 mars 2020 précitée ou en application de celle-ci.

A cet effet, il est prévu que tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période susvisée, sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.

Cette prorogation de délai joue également pour tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit

L’ordonnance énonce par ailleurs une liste de mesures administratives ou juridictionnelles dont le terme vient à échéance au cours de la période de l’état d’urgence sanitaire et qui sont prorogées de plein droit jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la fin de cette période. Il s’agit :

  • des mesures conservatoires, d’enquête, d’instruction, de conciliation ou de médiation ;
  • des mesures d’interdiction ou de suspension qui n’ont pas été prononcées à titre de sanction ;
  • des autorisations, permis et agréments ;
  • des mesures d’aide, d’accompagnement ou de soutien aux personnes en difficulté sociale ;
  • des mesures d’aide à la gestion du budget familial ;
  • étant précisé que le juge ou l’autorité compétente peut toutefois modifier ces mesures ou y mettre fin, lorsqu’elles ont été prononcées avant le 12 mars 2020.

Pour les relations avec les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs ainsi que les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale, l’ordonnance prévoit la suspension de certains délais :

  • les délais à l’issue desquels une décision, un accord ou un avis de l’une des personnes publiques ou de l’un de ces organismes peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus jusqu’à la fin de la période d’état d’urgence sanitaire augmentée d’un mois. Le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir pendant cette période est reporté jusqu’à l’achèvement de celle-ci. Ces même règles valent pour les délais impartis aux autorités administratives ou assimilées pour vérifier le caractère complet d’un dossier ou pour solliciter des pièces complémentaires dans le cadre de l’instruction d’une demande ainsi qu’aux délais prévus pour la consultation ou la participation du public ;
  • lorsqu’ils n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020, les délais imposés par l’administration, conformément à la loi et au règlement, à toute personne pour réaliser des contrôles et des travaux ou pour se conformer à des prescriptions de toute nature sont, à cette date, suspendus jusqu’à la fin de la période d’état d’urgence sanitaire augmentée d’un mois, sauf lorsqu’ils résultent d’une décision de justice. Le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir pendant cette période est reporté jusqu’à l’achèvement de celle-ci.

Les enquêtes publiques déjà en cours à la date du 12 mars 2020 ou devant être organisées pendant la période d’état d’urgence sanitaire augmentée d’un mois, font également l’objet de dispositions particulières.

Si, un retard lié à l’interruption de l’enquête publique ou l’impossibilité de l’accomplir en raison de l’état d’urgence sanitaire est susceptible d’entraîner des conséquences difficilement réparables dans la réalisation de projets présentant un intérêt national et un caractère urgent, l’autorité compétente pour organiser l’enquête publique peut en adapter les modalités :

  • en prévoyant que l’enquête publique en cours se poursuit en recourant uniquement à des moyens électroniques dématérialisés. La durée totale de l’enquête peut être adaptée pour tenir compte, le cas échéant, de l’interruption due à l’état d’urgence sanitaire. Les observations recueillies précédemment sont dûment prises en compte par le commissaire enquêteur ;
  • en organisant une enquête publique d’emblée conduite uniquement par des moyens électroniques dématérialisés.

Lorsque la durée de l’enquête excède la période d’état d’urgence sanitaire augmentée d’un mois, l’autorité compétente peut revenir, une fois achevée cette période et pour la durée de l’enquête restant à courir, aux modalités d’organisation de droit commun énoncées par les dispositions qui régissent la catégorie d’enquêtes dont elle relève.

Dans tous les cas, le public est informé par tout moyen compatible avec l’état d’urgence sanitaire de la décision prise par l’autorité compétente.

 

Donatien de Bailliencourt

HMS AVOCATS